Eddie Benghanem (Trianon Palace – Versailles), chef pâtissier intello-sensible

Très discret, Eddie Benghanem est pourtant l’un artisans français les plus respectés de la profession. Proche des cuisiniers dans la vision, réfléchi, l’ancien chef pâtissier du Ritz s’exprime sans fioritures à travers une grande sensibilité. Portrait.
Le charmer ? Inutile, l’homme fonctionne au contact, au feeling, à l’humain. D’ailleurs, lorsque nous l’avions contacté pour qu’il revienne sur son refus de devenir chef pâtissier du Meurice il y a quelques années (c’est finalement un certain… Cédric Grolet qui prendra le poste), il botta en touche. « On ne se connaît pas, je ne vais pas vous parler de ma vie au téléphone ». Une semaine plus tard, rendez-vous avec l’intéressé au Trianon Palace à Versailles dont il chapeaute l’offre sucrée depuis 2009. Ici, les chefs se succèdent (l’Italien Simone Zanoni, le Ducasse boy Frédéric Larquemin ajourd’hui) mais lui demeure. Et s’éclate. « J’ai l’impression que ça ne fait qu’un an que je suis là » juge-t-il.
Attablé avec nous à la table du chef qui fait face aux cuisines vitrées, Eddie Benghanem ne se dévoile pas immédiatement Il observe. Fixe. Scrute. Sonde. Et une fois mis en confiance, libère sa parole. Ses assiettes ne sont pas les plus architecturales ? Il assume complètement : plutôt que le style, il privilégie l’absence d’artifice et cherche la « vérité », un terme qu’il prononcera à de nombreuses reprises lors de notre échange. Comprenez par là des goûts francs, restitués avec justesse. Façon trou normand, le sorbet yuzu-basilic-menthe fraîche galvanise le palais quand le pré-dessert à base de shiso, pomme verte, coing et fromage de chèvre déroule chacune des notes de la composition. Il est pâtissier mais aurait brillé de l’autre côté des fourneaux. A l’image de ses confrères Philippe Conticini (qui fut jadis auréolé d’une étoile au guide Michelin) et Jacques Genin (qui faillit l’être s’il n’avait pas quitté son restaurant), ce personnage « très fidèle » emprunte avec intelligence les techniques des cuisiniers. On se doute qu’il aurait pu basculer, comme Michel Guérard, Guy Savoy, Régis Marcon ou William Frachot. Prenez son interprétation autour de la figue. Il rôtit la pièce au vinaigre de Barolo, avec les peaux, farcit le tout de figue fraîche, réalise crème glacée et chantilly avec la feuille de figuier. L’ensemble est délicat, verse peu dans le sucre. Pauvre en sucre aussi la Tatin recouverte d’un superbe caramel aux fruitx de la passion. Quant au millefeuille et son caramel liquide, il n’est d’imposant que d’aspect. En bouche, on a rarement connu plus léger.

Inconnu du grand public, Eddie Benghanem est l’un des artisans les plus respectés de la profession. « Génie. Puissant. Ovni » avance son ami Christophe Michalak. « Il possède une impressionnante bibliothèque gustative, réfléchit énormément et donne autant » souligne le chef Arnaud Faye, teneur des cuisines de la Chèvre d’Or à Eze (Alpes-Maritimes). Boulimique de tout (« tissus, botanique, peinture, joaillerie »), cet « hyper-manique » trima dans le passé au sein de la brigade dorée de Christophe Felder au Crillon. « On était des tueurs à gages ». « On » ? Lui et les apôtres sucrés du palace place de la Concorde : Gilles Marchal, Christophe Adam, Laurent Jeannin… Par la suite et sept ans durant, il fit sensation au Ritz qu’il considéra comme sa « maison ». A cette pile électrique, le directeur des lieux, Omer Acar, laissa carte blanche. Son surnom à l’époque ? Goldfinger. Beaucoup ont essayé de le débaucher mais sa liberté l’a jusqu’ici toujours emportée sur le montant du chéquier. S’il se sait apprécié par ses pairs, il sait réciproquement se montrer fort admiratif qu’il s’agisse de crêpes parfaites avalées à Quibron, de la maîtrise de Jean-François Piège (Le Grand Restaurant) ou de la virtuosité de Claire Damon (Des Gâteaux et du Pain). « Ce que j’avais fait au restaurant autour de l’abricot entier, elle le faisait en boutique… ».

On le devinait, il confirme. « Je suis très malin ». Avec sa petite équipe de douze personnes pour l’ensemble des points de vente du Trianon, il pèse chaque effort pour s’économiser et aller à l’essentiel. A 44 ans, Eddie Benghanem ne paie pas de mine avec ses petites lunettes et son allure très ordinaire. Comme souvent, les apparences sont trompeuses…
[divider]Pratique[/divider]Trianon Palace – 1 boulevard de la Reine, 78000 Versailles – 01 30 84 50 00 – www.trianonpalace.fr
[divider]Auteurs[/divider]Ezéchiel Zérah / ©Trianon Palace
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